Hubert Védrine, à droite, sous la présidence Mitterrand. © AFP
Dans le grand champ de ruines qui lui sert de décor, la gauche n’apparaît pas seulement éparpillée à un an de l’élection présidentielle, elle se montre égarée face à l’Histoire. Et comme un symptôme cruel de l’époque, c’est dans une revue d’extrême droite, Éléments, fondée par l’essayiste identitaire Alain de Benoist, que Hubert Védrine est allé le plus récemment défendre ses vues sur le Rwanda.
Hubert Védrine a non seulement été le numéro 2 de l’Élysée sous Mitterrand, mais il a été par la suite, entre 1997 et 2002, le ministre des affaires étrangères du premier ministre Lionel Jospin, celui-là même qui avait réclamé un « droit d’inventaire » des années Mitterrand. C’est dire le chaos conceptuel qui semble régner depuis des années au Parti socialiste et l’angle mort rwandais dans l’histoire de la gauche française.
Au-delà de ses éminentes fonctions publiques, Hubert Védrine est aussi depuis un quart de siècle l’un des principaux propagateurs de la thèse du « double génocide » – après avoir été massacrés par les Hutus, les Tutsis auraient massacré les Hutus –, qualifiée par l’historien Vincent Duclert d’« escroquerie intellectuelle » et par de nombreux observateurs de négationnisme.
Dans son entretien pour Éléments, réalisé avant la remise du rapport Duclert mais publié ces jours-ci, Hubert Védrine ose : « Je pense sincèrement que les accusations contre la France au Rwanda sont une des plus grandes fake news lancées contre notre pays depuis les intox de la guerre froide. »
« Le Rwanda est devenu le prétexte pour tous les gauchistes de la place de Paris de régler leurs comptes avec François Mitterrand, la Ve République, la France comme puissance, ajoute-t-il. Cette violence se libère aujourd’hui parce que ces têtes folles étaient auparavant tenues par le Parti communiste, puis englobées dans la stratégie Mitterrand. Mais aujourd’hui, plus rien ne les retient […]. Si les journaux étaient tenus comme autrefois, ça ne durerait pas une minute. »
L’ancien ministre socialiste semble oublier au passage que l’un des journalistes qui a le plus documenté la faillite française au Rwanda, Patrick de Saint-Exupéry, a couvert le génocide et ses suites pour… Le Figaro, pas spécialement connu pour être un repaire de gauchistes échevelés. Pas plus que Nicolas Sarkozy, qui fut le premier président en exercice à reconnaître « l’aveuglement » de la France au Rwanda, ne traîne une réputation de bolchévique.
Quant au dernier président de la République de gauche que la France ait connu, François Hollande, il s’est récemment félicité sur France Inter que le rapport Duclert ait mis « hors de cause » François Mitterrand sur la question de la complicité pour mieux reléguer les « responsabilités lourdes et accablantes » pointées par la commission au rang d’« erreur d’appréciation ».
Au Parti socialiste, aucune des voix de raison sur la tragique histoire rwandaise de la France – ou l’histoire française du Rwanda – n’a jamais été entendue. Elles ont pourtant existé, qu’il s’agisse de l’ancien premier ministre Michel Rocard, dont une note inédite pleine de lucidité a été révélée il y a peu par Libération, ou l’ancien ministre Pierre Joxe, dont le rapport Duclert rappelle combien il a tenté d’infléchir, en vain, la politique française dans les Grands Lacs sous le règne de Mitterrand.
Militante socialiste et médecin humanitaire au Rwanda pendant le génocide, Annie Faure se cogne, elle aussi, depuis des années au mur du déni, confrontée à cette triste réalité : affronter l’histoire socialiste du génocide des Tutsis n’est pas le meilleur accélérateur de carrière au sein du parti.
« Je reste encore aujourd’hui abasourdie par l’incapacité du PS à ouvrir les yeux sur le Rwanda et faire son droit d’inventaire. Cette attitude semble dans l’ADN des Français et de leur désintérêt pour ce génocide, souvent renvoyé à une bataille entre Noirs… », dit-elle à Mediapart.
« Affronter le passé en acceptant les faits de vérité […] est la seule voie pour se libérer des traumatismes et des blessures », conclut le rapport Duclert. Une immense partie de la gauche française semble avoir mieux à faire.
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