Emmanuel Macron, jeudi 27 mai, au Mémorial du génocide des Tutsis, à Kigali (Rwanda). © Ludovic MARIN / AFP
Par Fabrice ARFI
En reconnaissant la « responsabilité accablante » de la France dans le dernier génocide du XXe siècle, le rapport Duclert et le discours d’Emmanuel Macron à Kigali ont permis une avancée considérable, parce qu’officielle, sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire française. La gauche, elle, refuse toujours son examen de conscience, au risque de perdre le sens de l’Histoire.
La gauche française a-t-elle perdu le sens de l’Histoire et, avec lui, son honneur ? Deux événements récents liés au génocide des Tutsis du Rwanda, qui a fait en 1994 un million de morts en 100 jours, autorisent à le penser. Et c’est une très mauvaise nouvelle pour tous ceux qui pensent que la gauche n’est pas que le lieu politique de la bataille pour l’égalité, de la justice et de la société en mouvement, mais aussi une certaine dignité, une « décence commune », pour reprendre la célèbre formule d’Orwell, face à l’Histoire et ses tumultes.
Vingt-sept ans après les faits, la nature de la conversation publique sur le génocide des Tutsis a radicalement changé. Enfin. Il faut véritablement prendre la mesure du cap qui a été franchi en quelques semaines seulement ; d’une part avec la remise, fin mars, du rapport de la commission présidée par l’historien Vincent Duclert, et d’autre part avec le discours, fin mai, d’Emmanuel Macron à Kigali, capitale du Rwanda.
Le premier comme le second, et avec les mêmes mots, ont dit officiellement la « responsabilité accablante » de la France face au génocide, tout en excluant une complicité active de son État dans les massacres. En dépit des critiques nécessaires et légitimes qui peuvent entourer le rapport Duclert et le discours du président de la République, les deux événements que l’un et l’autre constituent marquent un point de non-retour. Une marche inexorable vers la vérité.
Oui, la France s’est compromise avant, pendant et après le génocide avec le pouvoir hutu qui l’a préparé et méthodiquement exécuté. Ceux qui, journalistes, militaires, historiens, victimes, le disent depuis des années ne sont pas fous.
Cela ne signifie pas que la France a conçu ni même souhaité la destruction des Tutsis du Rwanda, minorité rwandaise victime depuis des décennies d’exactions et de massacres. Mais cela signifie qu’emprisonnée dans des biais géopolitiques et idéologiques déjà maintes fois analysés, elle a aidé, soutenu, parfois même protégé ceux qui ont permis et réalisé le crime des crimes : l’annihilation de l’humanité par une partie d’elle-même. Les documents et les témoignages le montrent. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait.
C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron, le 27 mai à Kigali, a dit espérer le pardon de « ceux qui ont traversé la nuit », comprendre les survivants, les rescapés. Une façon, dans un « en même temps » tout macronien, de demander pardon sans présenter d’excuses, contrairement à ce que la Belgique a pu faire par le passé.
Le président français François Mitterrand, à Kigali (Rwanda), avec son homologue rwandais Juvénal Habyarimana, en décembre 1984. © Georges GOBET / AFP
La France a failli. Pas toute la France, mais ceux qui étaient à son sommet, au premier rang desquels un président de la République socialiste, François Mitterrand, et sa garde la plus rapprochée, dont le secrétaire général de l’Élysée de l’époque, Hubert Védrine, et le chef d’état-major particulier, le général Christian Quesnot.
Cette faillite française – le rapport Duclert la décrit très bien – a été favorisée par une folie institutionnelle : le présidentialisme, au contact duquel tout contre-pouvoir est appelé, à un moment ou un autre, à s’agenouiller.
Le rapport Duclert dit avoir même découvert dans les archives de l’État des « pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement, de contournement des règles d’engagement et des procédures légales », mais aussi des « actes d’intimidation » et des « entreprises d’éviction de responsables ou d’agents » qui avaient osé défendre, sur le Rwanda, une pensée dissidente de celle de François Mitterrand et de ses proches. Ceux-là étaient diplomates, généraux, agents secrets ou ministres. Ils ne furent jamais entendus et furent parfois même marginalisés face à la loi d’airain de la Ve République.
Comment est-il dès lors possible que toutes ces vérités de fait sur les « responsabilités accablantes » de la France face à un génocide ne provoquent pas non seulement un immense débat national, mais aussi un profond examen de conscience de la gauche et de tous les partis qui s’en réclament aujourd’hui ? On ne parle pas ici d’un fait divers, d’un projet de loi contesté ou d’une petite phrase politicienne.
On parle d’un génocide.
« Un génocide sous sa forme la plus pure », selon les mots de l’historien américain Raul Hilberg, qui a consacré les dernières pages de son œuvre phare, La Destruction des Juifs d’Europe (Gallimard), au génocide des Tutsis.
Il y a pire que l’ignorance : faire semblant de ne pas voir. Depuis la remise du rapport Duclert et le discours d’Emmanuel Macron, il y a eu quelques messages timides (par exemple la demi-phrase d’Olivier Faure, patron du PS, sur Twitter) ou des communiqués pour le moins ambigus (comme celui cosigné par Jean-Luc Mélenchon et Bastien Lachaud, de LFI), qui ne semblent pas exclure que les Tutsis aient pu être à l’origine de l’attentat qui a déclenché leur propre génocide en avril 1994.
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