Par Yann Gwet
Essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Rwanda.
Jeune Afrique
Dans un bureau de vote de Kigali, le 3 août 2017, à la veille de l’élection présidentielle rwandaise.
Pour les détracteurs de Paul Kagame, cet État est une dictature. En faisant fi des complexités d’une histoire tragique, nombre d’opposants instrumentalisent ainsi « la démocratie » au profit de leurs ambitions personnelles. Ce pays mérite mieux !
L’idée que le Rwanda postgénocide est le contraire d’une démocratie est si ancrée que ses promoteurs ne s’embarrassent jamais d’expliquer leur vision de la démocratie dans le contexte du pays. Pourtant, au vu de l’histoire de celui-ci, la chose mérite un débat sérieux. Je serais le dernier à argumenter que les systèmes rwandais et norvégiens sont interchangeables. Mais je serais également bien en peine d’expliquer pourquoi il faudrait nécessairement qu’ils le fussent. Est-il question de la démocratie dans ses principes ? Probablement pas, car personne ne conteste les vertus émancipatrices du gouvernement du peuple par lui-même. Il est plutôt question de concilier principes et réalités sociohistoriques.
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Dans le cas du Rwanda, la question est de savoir quel modèle de démocratie il faudrait adopter dans le contexte particulier d’une société postgénocide. En d’autres termes, quelle formule pour réconcilier une minorité rendue méfiante par une histoire tragique et une majorité rendue actrice de cette histoire tragique, dans un système qui, tout en ouvrant l’espace politique, annulerait le risque de violence ?
LES MOTS « MINORITÉ » ET « MAJORITÉ » SONT PROBLÉMATIQUES
Si on réfléchit deux secondes, les mots « minorité » et « majorité » sont problématiques. Car en démocratie, il n’y a, en principe, ni majorité ni minorité permanente. Les majorités sont politiques. Elles résultent d’alliances et de coalitions constamment renouvelées, qui sont l’expression d’intérêts politiques divergents. La démocratie n’obéit pas aux lois de la démographie. Appartenir à une minorité ethnique ne condamne pas à la minorité politique. Mais ça, c’est sur le papier.
Combat identitaire
Au Rwanda, comme dans de nombreux pays africains, ce paradigme n’a jamais fonctionné. La raison est que les identités ont été politisées. Sous la première République, le Rwanda se concevait comme une nation hutu. L’intérêt national était confondu avec celui de ce peuple. La minorité tutsi l’a payé cher. La deuxième République se présentait comme un régime de rupture d’avec le régime incarnant la « révolution hutu ». Le vernis était peut-être différent, mais le logiciel politique était similaire : ici aussi, la démocratie se conjuguait au temps de la démographie.
UNE POLITIQUE DE QUOTAS ETHNIQUES ET RÉGIONAUX DANS LES ÉCOLES LIMITAIT L’ACCÈS À 10 % DE TUTSI
Dans son livre Stepp’d in Blood, le journaliste et chercheur spécialiste de l’Afrique de l’Est Andrew Wallis rappelle qu’une politique « de quotas ethniques et régionaux dans les écoles limitait l’accès à 10 % de Tutsi ». La politisation des identités a réduit la politique rwandaise à un combat identitaire. Cette configuration interdisait toute véritable démocratie, mais elle convenait à une majorité ethnique pour qui l’institutionnalisation de la marginalisation d’une partie du peuple pouvait se faire au nom de « la démocratie ». Ou quand le beau principe « un homme, une voix » est instrumentalisé à des fins de « despotisme démocratique ».
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