Source Daily Nation
Vice-présidente de John Magufuli depuis 2015, elle lui a succédé après sa mort en mars. Relation apaisée avec les pays voisins, reconnaissance de l’existence du Covid-19, elle offre à la Tanzanie une bouffée d’air frais, selon ce journaliste kényan.
Le 4 juin 1940, Winston Churchill prononçait l’un des discours les plus émouvants, les plus forts et les plus célèbres de l’histoire contemporaine. À l’oreille, ces mots n’ont rien d’extraordinaire. Mais dans la brume de la Seconde Guerre mondiale, ils ont redonné à une nation démoralisée la vigueur nécessaire pour poursuivre la lutte contre un ennemi plus puissant et sans pitié.
Loin de moi l’idée de comparer les qualités d’oratrice de Samia Suluhu Hassan, la présidente de la Tanzanie [arrivée au pouvoir suite au décès soudain de John Magufuli en mars], à celles de Sir Winston Churchill. Je ne vais pas non plus comparer ses discours à succès, comme son allocution devant le parlement kényan mercredi 5 mai, à celui prononcé en 1940 par Churchill. Mais Samia Suluhu Hassan est la preuve vivante qu’une excellente maîtrise du langage peut admirablement servir la politique.
L’arrivée au pouvoir de Samia Suluhu Hassan est une bien meilleure nouvelle que l’élection de Joe Biden. Si la sénatrice Elizabeth Warren avait succédé à Donald Trump, les deux situations auraient été similaires: l’arrivée d’une femme, un changement de ton, de style et d’idéologie.
Bouffée d’air
La vue de cette femme puissante impressionne : entourée de ses imposantes gardes du corps, elle gouverne et prend des décisions qui influencent le sort des nations. En matière d’image, elle projette la Tanzanie sur le devant de la scène régionale et africaine, une position dont rêvent de nombreux États. Qui ne voudrait pas voir une femme à la tête de son pays ? C’est une preuve concrète de tolérance, d’acceptation de la place des femmes, et de maturité politique.
Samia Suluhu Hassan est une bouffée d’air frais pour de nombreux chefs d’entreprise, commerçants, ouvriers et fonctionnaires qui se sont sentis déshonorés et ont subi des pertes financières à cause de John Magufuli et de son nationalisme farouche. Tout comme Joe Biden après Donald Trump, elle incarne ce qu’on attend d’un président : la retenue, la politesse, et une apparente équité.
Maniant le langage diplomatique avec aisance, elle a évoqué son prédécesseur devant le parlement kényan avec une chaleur — peut-être — de façade, et c’est tout à son honneur. Peu de parlementaires partagent son enthousiasme, mais tous n’en attendaient pas moins d’elle : il serait impensable qu’un dirigeant trouve le moindre reproche à adresser à son pays devant un public étranger.
La dextérité d’un joueur de nyatiti
Je suis convaincu que certains proches de Magufuli ne voulaient pas que Samia Suluhu Hassan prenne sa suite. Ils ont sans doute prétendu qu’elle était incompétente et qu’un autre serait plus à même de défendre les intérêts du pays et de porter les politiques de Magufuli.
C’est avec le langage que Samia Suluhu Hassan a conquis le cœur du grand public. Son humour, en particulier son côté pince-sans-rire, son style simple et soigné, son attitude maternelle et son habileté à flirter avec la grivoiserie — pour souligner l’importance des échanges entre Nairobi et Dar es Salaam, elle a utilisé l’exemple des gnous qui viennent s’accoupler au Kenya et retournent mettre bas en Tanzanie — en ont désarmé et convaincu plus d’un. Les Kényans se sont reconnus dans son discours. Elle a également démontré son intelligence en choisissant de se moquer d’un sujet qui n’est pas particulièrement sensible — ah ! notre pauvre kiswahili — la présidente a ironisé sur le kiswahili parlé au Kenya, réputé plus familier et moins élégant que celui de Tanzanie.
Mais la preuve que ses adversaires tanzaniens l’ont peut-être sous-estimée, c’est la façon subtile dont elle a manœuvré son auditoire, avec la dextérité d’un joueur de nyatiti [lyre kényane] mais sans en avoir l’air, en abordant sans réserve ses préoccupations et ses souffrances.
Le gros lot
L’ancien président John Magufuli détestait se rendre au Kenya. En fait, il détestait profondément tout ce qui touche au Kenya. Et il était loin d’être le seul : nombreux sont les peuples de la région qui ne nous portent pas dans leur cœur, comme les Sud-Soudanais, qui préféreraient nous tirer dessus plutôt que de nous saluer s’ils nous croisaient dans leur pays. L’offensive de charme de Samia Suluhu Hassan nous offre un répit bienvenu après le rejet et la froideur de l’ère Magufuli.
Samia Suluhu Hassan est loin d’être incompétente. Les Tanzaniens se sont retrouvés avec cette présidente par hasard, ils ne l’ont pas élue, mais ils ont gagné le gros lot : une dirigeante plus sage, plus humaine, plus appréciable et meilleure à tout point de vue que le tyran qu’ils ont perdu.
Ailleurs, cela n’aurait l’air de rien. Mais en Tanzanie, ces mots ont des allures de révolution : “Nous avons des malades du Covid-19”, a déclaré Samia Suluhu Hassan le 25 juin, note The Citizen. La nouvelle présidente rompt avec son prédécesseur qui clamait qu’en Tanzanie l’épidémie n’existait pas. Refusant de porter le masque, John Magufuli incitait ses concitoyens à se masser dans les églises, et estimait que le virus était une invention « des Blancs ». En mars dernier, il est mort alors qu’il présentait tous les symptômes du Covid-19, maladie dont il avait nié l’existence. Mais ce diagnostic n’a jamais été confirmé officiellement.
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