Par Simon Valmary
Révision constitutionnelle en suspens, alliances politiques mouvantes: à mois d’un an de l’élection présidentielle kényane prévue le 9 août 2022, le scrutin reste entouré de la plus grande incertitude.
BBI: un jugement qui change tout ?
La Cour d’Appel du Kenya a mis vendredi un coup d’arrêt au BBI (« Building Bridges Initiative »), projet de révision constitutionnelle qui était l’épicentre des débats politiques depuis 2018.
Les juges ont estimé que le président Uhuru Kenyatta, à l’origine de cette révision, n’avait pas constitutionnellement le droit d’initier un tel processus.
Ce texte prévoit de modifier le régime présidentiel actuel en créant notamment de nouveaux postes dans l’exécutif (un Premier ministre, deux vice-Premiers ministres, un leader de l’opposition) et en augmentant le nombre de parlementaires (de 290 à 360).
Selon Kenyatta, cette ouverture du pouvoir permettrait de diluer la règle du « vainqueur rafle tout », qu’il considère comme la cause des conflits post-électoraux.
Mais ses détracteurs y voient une manoeuvre du chef de l’Etat, qui n’est pas autorisé à se présenter pour un troisième mandat, pour se maintenir au pouvoir en tant que Premier ministre.
L’élection se dessinait à la lumière du BBI, soutiens et alliances se négociaient avec dans la balance les nouveaux postes et circonscriptions.
La décision de la Cour d’appel a rebattu les cartes. Si un recours devant la Cour Suprême reste envisageable, un redécoupage électoral et la création de postes exécutifs avant le scrutin est impossible.
Des alliances chamboulées ?
Le BBI concrétisait une trêve entre le président Kenyatta et l’opposant historique Raila Odinga après les violences post-électorales de 2017-2018.
Pour beaucoup d’observateurs, elle s’est transformée en un pacte de partage du pouvoir pour 2022, Odinga briguant la présidence, soutenu par le parti du président Kenyatta, qui pourrait devenir son Premier ministre.
Cette alliance se fait au détriment du vice-président William Ruto, que Kenyatta avait initialement adoubé pour l’élection de 2022.
D’abord implicite, la rupture est désormais claire. Dans une interview lundi, le chef de l’Etat a mis au défi son vice-président de démissionner « s’il n’est pas content ».
Mais l’arrêt du BBI peut fragiliser la coalition Kenyatta-Odinga. « La grande question sera: l’alliance qui se construit autour d’Odinga pourra-t-elle tenir en l’absence du BBI ? Quels postes devront être offerts aux gens pour qu’ils sacrifient leurs ambitions présidentielles et se rangent derrière
Odinga ? », souligne Nic Cheeseman, professeur à l’université de Birmingham (Royaume-Uni).
Certaines formations attendaient le jugement sur le BBI pour se prononcer.
William Ruto s’est félicité de cette décision judiciaire qui bénéficie au « mwananchi » (simple citoyen) du petit peuple, dont il s’est fait le héraut face à Kenyatta et Odinga, issus des « dynasties » politiques kényanes.
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