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Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée
et ancien ministre des affaires étrangères

Dans Ne Pas Subir – Blog de Guillaume Ancel

 

Vous pourriez penser que « l’affaire du Rwanda », ou plutôt le rôle que la France a joué pendant le génocide contre les Tutsi en 1994, est désormais résolue.  Le président Macron, en rupture avec ses prédécesseurs, a en effet organisé cela « en deux temps, trois mouvements » : Après avoir organisé une commission d’historiens pour reconstituer suffisamment de faits, il a conclu à un « désastre français » tout en écartant la complicité.

Dans le premier mouvement, une commission d’historiens accède à une grande partie des archives qui, jusque-là, avaient été soigneusement bouclées, bien que l’intervention était présentée comme humanitaire.
Le deuxième mouvement a consisté à présenter des conclusions claires, mais limitées dans leurs conséquences : une « responsabilité accablante » de la politique conduite par l’Elysée de l’époque, mais sans mettre en cause qui que ce soit, ni du côté politique ni dans les rangs des Armées qui avaient accepté d’être compromises, sans mot dire ou presque.
Enfin, dernier mouvement, un « discours historique » permettant de plier le sujet sur la scène politique nationale et internationale.
Le président Macron avait ainsi trouvé un accord avec son homologue rwandais, Paul Kagamé, pour partager le même dessein de sortir de cette impasse dans laquelle une politique aberrante avait conduit la France, à son insu…
Lire aussi : 27 mai 2021, le discours historique du président Macron au Rwanda met fin à 27 années de déni sur ce désastre français
Peu de responsables politiques ont essayé de contester cette démarche où l’Histoire nous attendait, et la société française découvrait consternée que nous avions un lien avec un autre génocide, après avoir laborieusement reconnu la responsabilité de l’Etat français durant la collaboration du maréchal Pétain.
Il est vrai que Paul Quilès, qui avait tenté d’enterrer cette affaire avec une mission « d’information » parlementaire, était déjà au bout de sa vie. L’amiral Lanxade, chef d’état-major de l’époque et plus proche conseiller militaire du président Mitterrand, comprenait l’intérêt de se faire oublier et se murait dans le silence, sans doute conscient qu’il échappait ainsi à un débat qui ne l’aurait pas épargné.
Les militaires français, qui pour l’essentiel l’avaient fermé, et les quelques chefs qui avaient menti toutes ses années s’en sortaient mieux que bien : on ne leur demandait rien.
Un président Mitterrand malade et mal entouré
Aucune action en justice ou politique n’était entamée pour décliner les responsabilités individuelles, après que fut dénoncée la « responsabilité accablante » d’une politique délirante, d’un président Mitterrand malade et mal entouré.
Pas plus que ne furent remises en question les institutions de notre République qui permirent de telles errements. Les interventions extérieures restent la prérogative incontestée du président, et les contre-poids ou cordes de rappel semblent bien légers face au pouvoir discrétionnaire de l’Elysée, comme nous le rappellent les interventions actuelles du Mali à la Lybie.
L’accès aux archives est même durci, alors qu’il aurait pu constituer une garantie de connaissance publique de l’action de l’Etat qui engage notre société.
L’affaire semblait donc entendue, et je regrettais simplement, comme la plupart des acteurs de cette affaire, que les responsabilités ne soient pas jugées, quand bien même le sujet historique ne faisait plus de doute.
Nous attendîmes vainement que le Parti socialiste reconnaisse ce terrifiant échec de la politique mitterrandienne pour en finir avec des années de déni. Mais est-il encore capable de reconnaître quoi que ce soit, embourbé dans un passé qu’il ne sait pas dépasser ?
« Fin de l’histoire » en tant que telle, même s’il reste beaucoup de travail aux historiens pour comprendre comment ce génocide a été rendu possible, cinquante années seulement après la Shoah et le « plus jamais ça ».
Une réalité désastreuse qu’Hubert Védrine ne peut accepter ?
Représentant emblématique et médiatique de cette époque, Hubert Védrine a manifestement beaucoup de mal à s’y résoudre. Il est vrai qu’il était secrétaire général de ces années funestes pour la politique étrangère de la France. Encore aujourd’hui, il se vante d’avoir été « au cœur » de ce pouvoir, qui a pourtant failli face à un crime contre l’humanité, commis par ceux que l’Elysée avait décidé être « ses alliés ».
Il aurait pu reconnaître, à l’instar d’Alain Juppé, s’être trompé. Il aurait même pu facilement se protéger, en rappelant qu’il était en charge de multiples dossiers et qu’il n’avait pas forcément consacré l’attention nécessaire à celui-ci, dont l’aspect dramatique lui aurait alors échappé.
 
Lire aussi:  https://nepassubir.fr/2021/06/03/rwanda-hubert-vedrine-sur-le-point-de-lancer-une-contre-commission-pour-fuir-ses-responsabilites-et-impliquer-ceux-qui-pourraient-se-voir-reprocher-ce-desastre-francais-et-les-mensonge/
Mais ce serait sans compter avec les 27 années de déni qui suivirent le génocide et dont il fut un acteur clef, développant et diffusant des théories complotistes, dont le seul but était d’épargner la faillite de ce pouvoir. Un catalogue de faits alternatifs qui allaient nourrir les théories négationnistes :
La « politique de paix » qu’il aurait défendue, tandis que l’armée française faisait secrètement la guerre aux côtés des futurs génocidaires. La volonté de trouver des accords (Arusha), que des conseillers de l’Elysée qualifiaient pourtant de « Munich ».
L’acharnement à accuser Paul Kagamé d’avoir fait assassiner le président Habyarimana et « déclenché le génocide », alors que même l’expertise judiciaire diligentée par la France a montré que les missiles avaient été tirés d’un camp tenu par les extrémistes hutu, ces « unités d’élite » du gouvernement rwandais que des soldats français continuaient à former.
Enfin, « l’intervention humanitaire » de la France ou plutôt de l’Elysée, l’opération Turquoise à laquelle je participais, qui permit de protéger la fuite des génocidaires, avant de les faire réarmer dans des camps de réfugiés de l’autre côté de la frontière, pour qu’ils puissent continuer « leur combat » : massacrer les Tutsi et tous ceux qui s’y opposaient.
 
Lire aussi : https://nepassubir.fr/2021/02/27/comment-retablir-lhonneur-de-la-france-apres-que-plusieurs-de-ses-dirigeants-aient-soutenu-les-genocidaires-du-rwanda/
Des années de mensonges et de faux-semblants, de tentatives malsaines pour faire passer les bourreaux pour des victimes, et pas un seul regret. Pas même la décence de se taire, après que l’affaire ait été enfin publiée par le rapport Duclert, et officialisée par le discours du président Macron à Kigali.
Un ancien ministre contre un ancien officier
De mon côté, ancien officier ayant décidé de témoigner pour que ces faits soient révélés et que les Français puissent juger par eux-mêmes du bien-fondé de cette politique, je souhaitais me retirer de cette polémique qui avait suffisamment duré et qui me semblait – politiquement – réglée.
Mais l’ancien secrétaire général de l’Elysée attaque désormais en justice, alors que le débat est dépassé, ceux qui ont osé interroger le rôle qu’il a joué. Hubert Védrine attaque la docteur Annie Faure qui cherche depuis des années à faire la lumière sur les violences sexuelles faites aux femmes durant cette affaire. Il contribue probablement à l’acharnement contre le livre de Patrick de Saint-Exupéry qui sera attaqué pour la 34° fois en justice, aux frais du contribuable.
C’est mon cas désormais, attaqué par Hubert Védrine en diffamation, pour vingt-quatre publications…
En réalité, cette attaque en justice a pour cœur la vision de cette affaire du Rwanda, qu’Hubert Védrine espère voir trancher par les juges, après qu’elle fut désavouée par les historiens et le chef de l’Etat.
Car ce n’est pas Guillaume Ancel qu’il attaque, mais l’ancien lieutenant-colonel qui a osé témoigner que la version de l’ex-secrétaire général de l’Elysée et ministre des affaires étrangères était une fiction, arrangée pour masquer une réalité dont personne alors, – moi y compris –, n’imaginait l’ampleur.
D’autres militaires ont témoigné, pas assez sans doute. L’adjudant-chef Prungnaud, le général Varret et bien sûr le général Sartre qui, de son aveu même, a largement sous-estimé les conséquences d’avoir été mené « aux portes de l’enfer ».
Mais il est vrai que, personnellement, j’ai nommé les quelques décideurs à qui il me semblait indispensable de demander des comptes, et que j’ai critiqué leur attitude de déni. J’aurais pu parler aussi de leur incroyable arrogance et de leur conception peu amène de la démocratie… mais j’étais encore une fois bien en-dessous de la réalité.
 
Lire aussi : https://nepassubir.fr/2019/03/11/soutien-de-lelysee-aux-genocidaires-du-rwanda-hubert-vedrine-nest-pas-au-courant-des-details/
Dans quelle étrange société vivons-nous si un ancien ministre veut imposer le silence à un ancien officier ou à une courageuse médecin ?
Hubert Védrine espère-t-il nous faire taire et donner comme exemple qu’on ne peut pas débattre publiquement de ce qui ne l’arrange pas ? A moins qu’il ne s’agisse pour lui bien plus que cette obsession d’avoir raison, et de le protéger d’un autre débat qui suivra logiquement celui du Rwanda : la guerre des Balkans, le siège de Sarajevo et les massacres de Srebrenica furent-ils d’autres conséquences de cette « realpolitik » qu’il croyait avoir réinventée et qui pourrait l’emporter ?
 
Lire enfin : Après le Rwanda, il est temps de faire la lumière sur la politique de la France en Bosnie et dans les Balkans
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