Quarante-six ans après sa mort, Joséphine Baker entre ce mardi au Panthéon pour y rejoindre les grandes figures françaises grâce à sa riche vie d’artiste de music-hall, de résistante et de militante antiraciste. Joséphine Baker devient la sixième femme sur 80 personnages illustres à rejoindre le monument dédié aux « grands hommes », à Paris, mais aussi elle devient la première femme noire à être honoré au Panthéon. Derrière l’immense artiste, on redécouvre en cette occasion une personnalité profondément courageuse et engagée.
Le chef de l’État français, Emmanuel Macron, rendra hommage à cette « artiste de renommée mondiale, engagée dans la Résistance, inlassable militante antiraciste qui fut de tous les combats qui rassemblent les citoyens de bonne volonté, en France comme par le monde ».
Femme, noire, artiste de scène et née à l’étranger, Joséphine Baker, « ça va être mémorable » avec de « la joie et de l’excitation », espère Brian Bouillon-Baker, l’un des 12 enfants adoptés par Joséphine Baker, dont 11 sont toujours vivants. « Ma mère était une idéaliste qui voulait prouver que la fraternité universelle n’était pas une utopie », a résumé Brian Bouillon-Baker sur France Inter.
« J’ai deux amours, Paris et mon pays », sa chanson la plus connue, sera jouée par la Musique de l’armée de l’air à l’arrivée du cercueil au Panthéon.
Joséphine Baker, star et héroïne
Dans l’une des pièces les plus célèbres du dramaturge Jean-Luc Lagarce, Music-hall, la protagoniste, une chanteuse de cabaret sans nom et sans âge interprète une seule chanson censée représenter sa vie : De temps en temps de Joséphine Baker. Et c’est encore cet air qu’on entend dans l’adaptation franco-belgo-britannique du roman d’Irène Némirovsky Suite française.
Partout en Europe, en effet, nulle autre que Joséphine Baker n’aura mieux incarné le rêve de la nuit parisienne, elle qui, amoureuse de la France, en obtiendra la nationalité en 1937. Quelle gageure pour celle qui était née Freda Josephine McDonald dans le Missouri en 1906 ! Le nom de Baker, acquis en 1921, est celui de son deuxième mari et deviendra son nom de scène pour le reste de sa vie.
Joséphine Baker reçoit la Légion d’honneur des mains du général Vallin, ex-commandant en chef des Forces aériennes françaises libres, le 19 août 1961 dans son château des Milandes en Dordogne. © Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images
La première icône noire
Josephine Baker a été décrite comme la première icône noire – parce qu’elle est perçue comme telle dans les États-Unis ségrégationnistes, en dépit de ses origines multiples, afro-américaines bien sûr, mais aussi hispaniques et amérindiennes. Le 28 août 1963, lors de la marche pour les droits civiques – elle a traversé l’Atlantique pour cette occasion – elle commence ainsi son discours : « Je voudrais que vous sachiez que c’est le jour le plus joyeux de toute ma vie. »
Josephine Baker au célèbre manifestation de Washington
avec le Pasteur Martin L. King.
Enfant de la balle, envoyée très jeune comme domestique de personnes aisées dont elle subit le racisme et les mauvais traitements, elle trouve en France en 1925 une situation plus tolérable. Son voyage lui est payé par un impresario qui la veut pour sa Revue nègre qu’il entend monter à Paris. Elle y interprétera, presque nue, une « danse sauvage », qu’elle décrira plus tard comme une parodie de l’imaginaire colonial.
Elle plaît, aux hommes comme aux femmes – l’écrivaine Colette sera l’une de ses amantes – mais en France aussi, les Blancs qui la prennent pour maîtresse ne sont pas prêts, loin s’en faut, à épouser une « femme de couleur ». Son troisième mariage aura lieu en 1936, avec un jeune courtier en sucre, Jean Lion, né Lévy, bientôt victime des persécutions antisémites.
Résistante et rêveuse d’une « fraternité universelle »
Joséphine Baker, star de l’entre-deux-guerres, et une immense star de la Revue nègre, spectacle musical qui a contribué à populariser en France le jazz et la culture noire américaine. au sommet de sa gloire, elle s’est mise au service de la France pour lutter contre les nazis. Avec son entregent et son courage, elle a prêté main-forte à la Résistance.
L’officier Jacques Abtey, espion au sein du 2e Bureau, rencontre la danseuse dans sa demeure du Vésinet, dès septembre 1939. L’idée lui a été soumise par l’imprésario Daniel Marouani. Sceptique au départ, le militaire est vite conquis, d’autant que l’artiste est emballée par le projet, comme il le relate dans son livre La Guerre secrète de Joséphine Baker (éd. La Lauze). « C’est la France qui a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’existe pas de préjugés racistes, assure-t-elle à Jacques Abtey. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens ? »
« Je suis prête, capitaine, à leur [les Parisiens] donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »
Elle cache des armes et des résistants
Dès octobre 1939, elle apporte « les premières preuves de son efficacité », assure Emmanuel Bonini. Courtisée pour être la star d’un film de propagande communiste qui doit « mettre en évidence l’oppression des Noirs dans les colonies françaises », elle reçoit au Vésinet le banquier suédois Olof Aschberg, à l’initiative du projet. Ce dernier est soupçonné d’être le grand dispensateur des fonds de propagande en France. Le déjeuner à la villa Beau Chêne sert de test au 2e Bureau pour enregistrer des conversations. Le film, lui, ne se fera pas.
Elle profite de ses déplacements mondains pour ramener des informations stratégiques, ou couvrir ceux de Jacques Abtey, un agent du renseignement qu’elle fait passer pour l’un de ses musiciens.
En 1941, elle rejoint l’Afrique du Nord. Elle finance jusqu’à se mettre en difficulté la France libre et la Résistance, donnant des concerts gratuits et revendant au profit de cette dernière la petite Croix de Lorraine qui lui est offerte par le Général De Gaulle à Alger. C’est en officier de propagande qu’elle débarque à Marseille en octobre 1944.
« Elle voulait défendre sa nouvelle patrie, c’est un engagement tout à fait sincère et spontané », assure à franceinfo son ancienne secrétaire particulière Michèle Barbier. « Elle était très cocardière », confirme le biographe Emmanuel Bonini, auteur de La Véritable Joséphine Baker (éd. Pygmalion). Arrivée en France en 1925, après avoir fui les Etats-Unis ségrégationnistes, Joséphine Baker se souvient d’avoir été bien reçue. « Français, Françaises, immédiatement gentils », raconte-t-elle à Marcel Sauvage, qui a retracé sa vie au cours de longs entretiens dans Les Mémoires de Joséphine Baker (éd. Dilecta).
« Elle n’a jamais vraiment éveillé les soupçons parce que sa réputation la précédait, elle paraissait un peu insouciante. C’était inimaginable que Joséphine Baker puisse être une espionne. »
Elle reçoit la médaille de la Résistance en 1946, mais des propositions pour qu’elle soit nommée chevalier de la Légion d’Honneur sont rejetées par deux fois, en 1947 et 1949.
Elle l’obtient finalement en 1957. Ses états de service impressionnants sont publiés dans le décret. Elle sera la première femme d’origine étasunienne à recevoir les honneurs militaires à sa mort en 1975. Après-guerre, elle souhaite incarner le rêve d’une « fraternité universelle » en adoptant 12 enfants venus du monde entier qu’elle élève dans son château de Milandes en Dordogne et soutient activement la cause des Afro-Américains.
Cénotaphe
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