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Qui gère les activités, le matériel, les horaires? | Ricardo Viana via Unsplash.
Par Daphnée Leportois

 

Derrière l’agréable séjour, il y a souvent une gentille organisatrice, qui est loin de prendre autant que les autres,  congé des tâches du quotidien. La charge mentale des femmes ne connaît pas de répit. Pour les mères de famille, les vacances se transforment vite en un travail à plein temps. Retrouvez dans «Prendre congé des enfants et du mari pour profiter de ses vacances» les témoignages de celles qui ne trouvent pas de moments de repos durant leur séjour.

« Les vacances sont pour moi un vrai travail, soupire Anne-Laure, 33 ans, professeure de français en Espagne. Je me retrouve bien souvent à faire la traductrice, la secrétaire, l’assistante, la guide touristique, la photographe, etc., donc je profite moyen de ces moments.» Eh oui, le bon temps (des un·es) ne tombe pas du ciel. «Pour que tout le monde ait du fun, il faut toute une préparation, une organisation», relève la sociologue Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (Uqam) et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes (Iref). Et celle-ci pèse encore majoritairement sur les femmes. «La période peut s’avérer ne pas être de tout repos, voire pénible, pour les femmes car elle nécessite une forte charge mentale, en amont, pour préparer les vacances et, une fois sur place, en raison de la poursuite du travail domestique et parental qu’elles continuent à assumer », pointe sa consœur Emmanuelle Santelli, directrice de recherche CNRS, au Centre Max-Weber, à Lyon.
C’est le cas de Florence, 37 ans, directrice de la communication et mère de deux petites filles, à qui il revient systématiquement de trouver le lieu de vacances, réserver les billets d’avion pour toute la famille, penser aux éventuels vaccins ou encore faire les valises «avec tout ce que ça comporte: vérifier que les fringues des enfants leur vont encore, les médicaments, le stock de couches et de lait quand elles étaient bébés, les passeports, les dates de péremption des produits comme la crème solaire». Et ça ne s’améliore pas sur place, entre gestion du jet-lag, déballage des valises, activités à organiser en tenant compte du rythme des petites, courses… « Je passe généralement ma première journée à tout mettre en place pour le reste des vacances», décrit-elle. Avant de refaire les bagages au moment du retour et de s’occuper également du rangement et des lessives à l’arrivée. «C’est usant de devoir tout organiser, ranger, laver, ponctue Florence. Je ne profite pas autant que les autres de mes vacances car je dois toujours penser à tout pour que ça se passe le mieux possible avec les enfants…»
Une frustration exacerbée par la rupture qu’elle fait de la promesse des vacances. «Les femmes peuvent d’autant plus mal le vivre à un moment où tout le monde aspire à “recharger les batteries”», signale Emmanuelle Santelli. On est bien loin de l’image idéalisée d’un moment régénérateur où l’on s’extrait du quotidien et se déconnecte, où l’on prend soin de soi, se relaxe et se ressource, où le temps est comme ralenti et davantage savouré. «Il n’y a pas un accès égalitaire aux loisirs des vacances et aussi au repos pour les hommes et les femmes dans la plupart des couples et des situations familiales», constate Chiara Piazzesi. Cette iniquité vacancière genrée est la preuve que l’amélioration le reste du temps du partage des tâches conjugales et familiales est (malheureusement) un cache-misère.
Gestion d’ensemble et temps libre genré
« Si les vacances sont un moment qui correspond à une charge de travail supplémentaire pour les femmes, ce sont avant tout quand ces dernières sont mères –dans le cas de couples sans enfants, s’il y a charge supplémentaire, elle n’est pas très importante comparée à celles des mères», nuance la directrice de recherches au CNRS. Et ça s’explique. Car, lors des vacances, fait remarquer sa consœur de l’Uqam, «on sort de l’ordinaire et du temps dans lequel les enfants sont pris en charge une partie de la journée par une institution –par exemple, l’école, la principale». La famille prend alors le relais à 100%.
« C’est la beauté des vacances, c’est magnifique que l’on puisse passer plus de temps ensemble, mais cela comporte davantage d’organisation et de choses à penser, ce qui revient en particulier aux femmes.» Comme en temps normal –en 2010, en France métropolitaine, les femmes entre 15 et 60 ans assuraient en moyenne chaque jour 4h01 de temps domestique (ménage, courses, soins aux enfants, jardinage, bricolage), contre 2h13 pour les hommes. Mais en pire. «Pendant les vacances, période où les femmes ont du temps (!), elles se retrouvent finalement à prendre plus en charge que d’habitude nombre de tâches», souligne la spécialiste des inégalités de genre et du lien conjugal Emmanuelle Santelli.
« Il y a vraiment une culture de la disponibilité des femmes. »
Chiara Piazzesi, professeure de sociologie
En cause, une vision du temps libre genrée (pour ne pas dire sexiste) encore bien enracinée, qui atteste d’une absence de changement des mentalités. «Il y a vraiment une culture de la disponibilité des femmes, ajoute Chiara Piazzesi, qui travaille sur la sociologie de l’intimité amoureuse et conjugale. Socialement, leur temps libre est caractérisé différemment et a une valeur différente de celui des hommes. Il est souvent entendu comme un temps que l’on consacre aux autres, à la famille –comme si le temps de travail à l’extérieur de la maison des femmes qui ont un job était du temps pour soi.» C’est bien ce que sous-entend l’interrogation «Qui s’occupe des enfants?» qui surgit et est adressée à la mère lorsque les deux membres du couple parental travaillent. Avoir un boulot, quand on est une femme, c’est encore dans l’esprit de beaucoup penser à soi (sa carrière) voire prendre du bon temps (sans les enfants). C’est donc rarement prioritaire par rapport au travail que l’on affecte encore aux femmes: s’occuper de leurs enfants et du foyer.
« C’est comme s’il y avait une perméabilité du temps des femmes par rapport à l’interruption et à l’irrespect vis-à-vis de leur concentration ou de leurs intérêts personnels, appuie la chercheuse. On le voit très bien au moment où les vacances libèrent le temps de tout le monde mais où le temps des mères ou des femmes devient un temps pour l’autre, un temps où l’on se fait dorloter par sa maman ou sa compagne.» Puisqu’elles ont du temps à revendre. C’est aussi ce qui a surgi –et en a surpris plus d’un·e– pendant le confinement. Car cette période n’a pas favorisé un partage des tâches plus égal. Bien au contraire. «Quand les deux conjoints étaient confinés, les femmes se sont retrouvées à prendre en charge une plus grande part du travail domestique et parental», rappelle Emmanuelle Santelli.
Inégalités en tension
« Pourtant, [mon conjoint] c’est pas le macho qui se met dans le canapé et qui veut que bobonne lui fasse à manger. C’est un papa qui amène les enfants à l’école le matin, leur donne le bain, fait la vaisselle, fait la lessive. En plus, il a perdu sa maman jeune, donc il a dû apprendre à se débrouiller. Mais, pour les vacances, il fait les choses uniquement si je lui dis de les faire », s’étonne Florence, qui ne s’explique pas l’attitude désinvolte de son époux. « Dans le domaine des tâches ménagères, il n’y a aucun souci, je dirais même que mon compagnon actuel en fait plus que moi, étant donné qu’il télétravaille et moi non. Le thème des vacances est vraiment le point de tension», observe aussi Anne-Laure. Et c’est vrai que l’amélioration du partage des tâches conjugales et parentales interroge, de prime abord, l’organisation plus traditionnelle des vacances.
Reste que, si, entre 1986 et 2010, le temps domestique quotidien des femmes a diminué d’une heure et six minutes, ce n’est pas en raison d’une participation accrue des hommes, qui consacrent en moyenne six minutes de plus à l’ensemble des tâches domestiques. C’est surtout le temps consacré au ménage et aux courses qui a décru (3h01 contre 4h10 vs 1h17 contre 1h10 côté hommes). « Si les femmes doivent remercier quelqu’un pour cette heure de corvée en moins, c’est peut-être leur lave-vaisselle, le magasin de surgelés d’à côté ou leur femme de ménage… mais sans doute pas leur conjoint », synthétise dans son ouvrage L’éducation vraiment positive la journaliste Béatrice Kammerer.
Autre élément explicatif: le temps dédié au travail, qui a augmenté de quinze minutes côté femmes. « Si les couples ont un fonctionnement globalement plus égalitaire que par le passé, c’est parce que les femmes ont une activité professionnelle, indique la chercheuse en sociologie du Centre Max-Weber. Les femmes sont “aidées” –c’est l’expression qu’une partie d’entre elles emploient pour indiquer le travail domestique fait par leur conjoint– parce qu’elles ont peu de temps à consacrer à ces tâches domestiques et parentales du fait de leur emploi. Dès que ce n’est plus le cas, on revient à l’ancien schéma, ce que nous a montré le confinement et ce que nous révèlent aussi les vacances. Nous ne sommes pas parvenus à un fonctionnement plus égalitaire au sein des couples parce qu’il y aurait une prise de conscience ».
Expertise confinante
Pas étonnant dans cette configuration que cette dévolution passéiste de l’organisation des vacances aux femmes ait pour corollaire une assignation genrée. « Trop souvent encore, les hommes considèrent que ces tâches relèvent plus “du féminin” », détaille la spécialiste lyonnaise des inégalités de genre et des pratiques conjugales. « Question de socialisation et de participation depuis l’enfance à l’organisation de l’espace domestique, avec ses nécessités, ses rythmes», expose sa consœur Chiara Piazzesi.
« Je suis “connue” pour bien organiser donc on se repose beaucoup –trop– sur moi…» Anne-Laure.
C’est le cas d’Anne-Laure, qui réalise que, si elle « aime les “choses bien faites” », c’est peut-être aussi un héritage familial: « Mes modèles féminins dans ma famille proche gèrent en général beaucoup et surtout les vacances, les hommes se reposent et se laissent vivre, “font confiance aux expertes”.» Un rôle de cheffe d’orchestre qu’elle a à son tour endossé et dont il lui est aujourd’hui difficile de se défaire: «Je suis “connue” pour bien organiser donc on se repose beaucoup –trop– sur moi…» Pareil pour Florence, qui a créé des listes dans son téléphone pour ne rien oublier et afin que les vacances se déroulent au mieux. « Dès que je pense à un truc, je le marque. C’est comme si j’étais une professionnelle de l’organisation, je suis obligée », déplore-t-elle.
Surtout que, en face, non seulement on laisse faire «les pros» mais on justifie son inactivité par une soi-disant inclination féminine. « Il y a l’argument “mais tu aimes tellement tout contrôler que, si je m’en occupe, tu ne seras pas bien”. On me dit aussi “tu aimes faire ça donc on te laisse t’en
occuper” », note Anne-Laure. Comme si les hommes faisaient une fleur à leurs compagnes en ne bougeant pas le petit doigt. Comme si c’était une question de goût personnel et non une question structurelle. C’est aussi ce que sous-entend le mari de Florence lorsqu’il la laisse tout déballer, ranger et organiser au début des vacances. « Il considère que c’est mon truc à moi et que j’aime bien le faire. Mais j’aime pas le faire! J’aime bien organiser mais à des moments j’aimerais bien aussi qu’on me dise “tu penses à rien et je fais tout”.» Histoire d’être vraiment en vacances plutôt qu’à leur service.
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