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Des soldats de l’Armée populaire de libération devant un portrait du président chinois Xi Jinping, près de l’entrée de la Cité interdite, à Pékin, le 18 mai 2020. | Nicolas Asfouri / AFP
Par Richard Arzt

 

Au moment où elle s’engage auprès du Conseil de sécurité des Nations unies à empêcher la propagation des armes atomiques, la Chine poursuit sa course à l’armement face aux États-Unis. Tout ce qui touche à la défense nationale fait l’objet d’une attention minutieuse de la part des autorités chinoises.

Xi Jinping, le secrétaire général du Parti communiste et président de la République chinoise, occupe également la fonction de commandant en chef de l’Armée populaire de libération (APL). Celle-ci, avec plus de deux millions de soldats actifs, est la plus grande armée du monde, même si une politique de modernisation a diminué ce chiffre au fil des années. L’importance du domaine militaire –et le nom même de l’APL– remonte au temps de la guerre civile chinoise (1927-1949), avant que cette armée maoïste ne l’emporte sur le Kuomintang, en 1949.
Pendant une dizaine d’années, les Soviétiques ont apporté leur aide pour mettre à niveau cette formation militaire puis, après 1960 et la brouille entre Pékin et Moscou, la Chine a décidé de se doter de l’arme nucléaire. Celle-ci va être mise au point sous la direction de Deng Jiaxian, un physicien qui, en 1952, était retourné en Chine après avoir étudié la physique à l’Université Purdue, dans l’Indiana, aux États-Unis. À San Francisco, la douane américaine exigea de fouiller les documents qu’il emmenait avec lui, mais n’y trouva que des revues scientifiques, et aucun document classé secret défense. Grâce à Deng Jiaxian, la Chine devient, en 1964, le cinquième pays à posséder une force nucléaire, après les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne et la France.
Une force dissuasive
Depuis cette époque, la doctrine de la dissuasion est appliquée par la Chine. Posséder l’arme nucléaire doit suffire à éviter de s’en servir. Et ce 3 janvier 2022, la Chine s’est rangée sans difficulté aux côtés des quatre autres pays membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui se sont engagés à empêcher la propagation des armes atomiques.
Ensemble, ces pays ont déclaré qu’une «guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée», et ils assurent vouloir «prévenir la poursuite de la dissémination» nucléaire, dont les armes ne doivent servir «tant qu’elles existent» qu’à «des fins défensives de dissuasion et de prévention de la guerre». Ma Zhaoxu, vice-ministre chinois des Affaires étrangères, a estimé que cette déclaration «incarne la volonté politique des cinq pays de prévenir la guerre nucléaire et exprime la voix commune du maintien de la stabilité stratégique mondiale et de la réduction du conflit nucléaire».
Le nucléaire, nouvelle arme diplomatique de la Chine
Cette déclaration survient alors qu’une nouvelle conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaire est prévue du 24 au 28 janvier 2022, et que des négociations ont repris à Vienne en novembre dernier sur le programme d’armement nucléaire dont l’Iran voudrait se doter. Il s’agit là de relancer l’accord international qui avait été conclu en 2015 avant d’être abandonné par l’administration Trump en 2018.
Mais, en même temps, l’unanimité des cinq pays du Conseil de sécurité cache quelques différends entre les États-Unis et la Chine. Washington accuse Pékin de renforcer constamment son arsenal nucléaire. Ce à quoi, à Pékin, Fu Cong, le directeur du service de contrôle des armements au ministère chinois des Affaires étrangères, a répondu le 4 janvier: «Nous maintenons nos capacités nucléaires au niveau minimal requis pour notre sécurité nationale», ajoutant que la Chine continuerait à «moderniser» ses armes nucléaires «pour des questions de fiabilité et de sécurité». Avant de s’en prendre aux arsenaux américains et russes en déclarant: «Les États-Unis et la Russie possèdent encore 90% des têtes nucléaires de la planète. Ils doivent réduire leur arsenal nucléaire de manière irréversible et juridiquement contraignante.»
À de nombreuses reprises, Washington a demandé à Pékin de rejoindre les discussions que les États-Unis et la Russie mènent sur la réduction de leurs armes nucléaires. Pékin a toujours refusé, en soulignant que son arsenal est loin d’être aussi important que celui de ces deux pays. Selon des chiffres établis en janvier 2021 par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les États-Unis disposeraient de 5.550 têtes nucléaires, contre 350 pour la Chine.
Une armée en expansion
Cependant, en matière de défense, les divergences sino-américaines ne concernent pas uniquement la force nucléaire. Les équipements militaires de la Chine, notamment ceux de son armée de terre, de son aviation ou de sa marine, se sont beaucoup développés depuis une dizaine d’années. Le budget chinois de la Défense augmente en moyenne chaque année de 8%. Il était d’un montant équivalent à 174 milliards de dollars en 2019; il est annoncé à 270 milliards en 2023. Ces chiffres sont précisés chaque année à Pékin, en mars, en préalable à la réunion annuelle de l’Assemblée nationale. L’objectif de la Chine est d’être au niveau américain en 2049, lorsque le pays fêtera les cent ans de la fondation de la République populaire. Pour comparaison, les dépenses militaires américaines s’élevaient en 2020 à 778 milliards de dollars.
Pour l’instant, le matériel militaire américain reste plus imposant que celui dont dispose l’armée chinoise. Mais la Chine s’équipe à grande vitesse, et privilégie sa marine militaire. En seulement trois ans, entre 2015 et 2018, elle a mis à l’eau un tonnage de bateaux équivalent à la flotte de guerre de la France ou de la Grande-Bretagne. Depuis 2018, c’est chaque mois un destroyer ou une frégate qui sont construits en Chine. Des corvettes et garde-côtes ont également été mis en service, et l’an dernier, c’est un porte-hélicoptères géant de 40.000 tonnes qui est sorti –le premier d’une série annoncée. Certains matériels sont visiblement moins prioritaires pour la Chine: elle s’est dotée de deux porte-avions, là où les États-Unis en ont dix-neuf.
La crise des sous-marins vue de Chine
En revanche, l’APL est presque à égalité avec les États-Unis en nombre de sous-marins: elle en possède soixante-dix (dont seize SNA, des sous-marins nucléaires d’attaque à propulsion nucléaire), tandis que la marine américaine en a soixante-quinze, y compris cinquante-quatre SNA. Les chantiers navals de Huludao, dans le Liaoning, au nord-est de la Chine, produisent un SNA tous les quinze mois.
La Chine possède également 2.500 avions militaires, dont 2.000 avions de combat. Les États-Unis eux, disposent de 13.000 avions de combat, dont de redoutables F-35 Lightning, et des Raptor F-22. De son côté, la Chine a mis au point un chasseur, le J-20, connu également sous le nom de Mighty Dragon, ainsi qu’un bombardier stratégique, le H-6, qui peut emporter des missiles balistiques et même, selon la presse chinoise, des missiles hypersoniques.

  

Un sous-marin Great Wall 236 lors d’un défilé naval commémorant le 70e anniversaire de la fondation de la marine de l’Armée populaire de libération chinoise. Le 23 avril 2019, près de Qingdao, dans la province du Shandong. | Mark Schiefelbein / Pool / AFP

 

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Épuiser les États-Unis
Cette montée en puissance de l’armée chinoise inquiète fortement à Washington. Non seulement de nombreux experts américains prédisent que la Chine sera, dans quelques années, la première puissance économique mondiale, mais en plus, ils craignent qu’elle n’engage un conflit militaire avec les États-Unis pour asseoir sa puissance. L’opacité du régime politique en vigueur à Pékin ouvre la voie à toutes sortes d’hypothèses. Le contrat officialisé en septembre dernier, au détriment de la France, par lequel l’Australie, avec la Grande-Bretagne à ses côtés, va acheter des sous-marins américains, s’inscrit fermement dans une stratégie défensive face à la Chine. Cet accord dénommé «AUKUS» est «extrêmement irresponsable» selon Pékin.
En Chine, on étudie et on connaît les thèses de Sun Tzu, ce général du VIe siècle avant J.-C., auteur de L’Art de la guerre.
Pourtant, rien n’indique que le régime chinois, même en ayant fortement renforcé son armement, ait l’intention d’entrer dans une logique guerrière. Et notamment pas avec les États-Unis. En Chine, on étudie et on connaît les thèses de Sun Tzu, ce général du VIe siècle avant J.-C., auteur de L’Art de la guerre. Il estimait que la pire façon pour remporter une guerre était de la mener, et qu’il faut toujours créer les conditions pour faire perdre l’adversaire sans avoir à se battre.
Partant de ces principes, José Garson, ancien consultant aux Nations unies et actuellement professeur de géopolitique, écrivait en novembre 2021 dans la Revue Défense Nationale: «La Chine n’attaquera pas. Elle ne provoquera pas non plus de casus belli. Elle attendra […]. Il lui suffit de produire suffisamment de bâtiments de guerre, non pas pour gagner un affrontement militaire que pour démoraliser chaque fois un peu plus les États-Unis –c’est-à-dire pour les “épuiser” dans leur course sans fin à la recherche d’une supériorité militaire inatteignable.»
Selon José Garson, «ce refus de l’affrontement global n’exclut pas, pour la Chine, d’avancer ses pions […] hors de portée d’une obligation de riposte américaine». Depuis quelques années, pour s’aménager des routes maritimes, les autorités chinoises se sont emparées de petits archipels inhabités en mer de Chine méridionale, les Spratleys et les Paracels. Des immeubles et des aéroports y ont été construits afin d’aménager cinq bases aéronavales. Pékin rejette tous les arguments historiques qui peuvent permettre aux Philippines et au Vietnam de revendiquer ces îlots.
Quel sort pour Hong Kong après le tour de force de la Chine?
Ingérence étrangère
Par ailleurs, la Chine ne se prive pas d’intervenir là où elle le juge utile pour affermir son autorité: en septembre 2020, elle a imposé à Hong Kong une «loi sur la sécurité nationale» qui permet de réprimer sur le territoire «la subversion, la sécession, le terrorisme et la collusion avec les forces étrangères». Cette initiative de Pékin a de facto mis fin à la période de transition fixée en 1997 et qui prévoyait la restitution de Hong Kong à la Chine en 2047.
La question de Taïwan est évidemment plus complexe. Près de vingt-quatre millions d’habitants vivent sur cette île qui se situe résolument en dehors de l’autorité de Pékin et qui bénéficie d’un soutien déclaré de la part de Washington. Le gouvernement taïwanais évite soigneusement de proclamer une marche vers l’indépendance, tandis que Pékin durcit le ton en proclamant que Taïwan devra un jour être rattaché à la Chine populaire. Xi Jinping a plusieurs fois déclaré que la «réunification» de Taïwan à la Chine continentale est «inéluctable».
De telles menaces semblent refléter le ton que le régime chinois de Pékin veut donner à ses relations internationales. Développer aussi rapidement que possible les capacités de l’Armée populaire de libération montre par ailleurs à la population chinoise que le pouvoir fait en sorte de ne pas être surpris par une éventuelle attaque américaine. Mais au-delà, il n’est pas sûr que les dirigeants de Pékin, y compris les hauts gradés de l’armée chinoise, aient l’intention de passer à l’offensive. S’agirait-il alors de conforter l’accès de la Chine à ses réseaux commerciaux vers le Pacifique? Ou bien de montrer que la Chine est animée d’un esprit de conquête? Rien, dans la tradition chinoise, ne pousse le pouvoir chinois à aller dans ce sens. Les théories de Sun Tzu l’amèneraient plutôt à montrer ses muscles, en évitant de bouger.
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