Épuiser les États-Unis
Cette montée en puissance de l’armée chinoise inquiète fortement à Washington. Non seulement de nombreux experts américains prédisent que la Chine sera, dans quelques années, la première puissance économique mondiale, mais en plus, ils craignent qu’elle n’engage un conflit militaire avec les États-Unis pour asseoir sa puissance. L’opacité du régime politique en vigueur à Pékin ouvre la voie à toutes sortes d’hypothèses. Le contrat officialisé en septembre dernier, au détriment de la France, par lequel l’Australie, avec la Grande-Bretagne à ses côtés, va acheter des sous-marins américains, s’inscrit fermement dans une stratégie défensive face à la Chine. Cet accord dénommé «AUKUS» est «extrêmement irresponsable» selon Pékin.
En Chine, on étudie et on connaît les thèses de Sun Tzu, ce général du VIe siècle avant J.-C., auteur de L’Art de la guerre.
Pourtant, rien n’indique que le régime chinois, même en ayant fortement renforcé son armement, ait l’intention d’entrer dans une logique guerrière. Et notamment pas avec les États-Unis. En Chine, on étudie et on connaît les thèses de Sun Tzu, ce général du VIe siècle avant J.-C., auteur de L’Art de la guerre. Il estimait que la pire façon pour remporter une guerre était de la mener, et qu’il faut toujours créer les conditions pour faire perdre l’adversaire sans avoir à se battre.
Partant de ces principes, José Garson, ancien consultant aux Nations unies et actuellement professeur de géopolitique, écrivait en novembre 2021 dans la Revue Défense Nationale: «La Chine n’attaquera pas. Elle ne provoquera pas non plus de casus belli. Elle attendra […]. Il lui suffit de produire suffisamment de bâtiments de guerre, non pas pour gagner un affrontement militaire que pour démoraliser chaque fois un peu plus les États-Unis –c’est-à-dire pour les “épuiser” dans leur course sans fin à la recherche d’une supériorité militaire inatteignable.»
Selon José Garson, «ce refus de l’affrontement global n’exclut pas, pour la Chine, d’avancer ses pions […] hors de portée d’une obligation de riposte américaine». Depuis quelques années, pour s’aménager des routes maritimes, les autorités chinoises se sont emparées de petits archipels inhabités en mer de Chine méridionale, les Spratleys et les Paracels. Des immeubles et des aéroports y ont été construits afin d’aménager cinq bases aéronavales. Pékin rejette tous les arguments historiques qui peuvent permettre aux Philippines et au Vietnam de revendiquer ces îlots.
Quel sort pour Hong Kong après le tour de force de la Chine?
Ingérence étrangère
Par ailleurs, la Chine ne se prive pas d’intervenir là où elle le juge utile pour affermir son autorité: en septembre 2020, elle a imposé à Hong Kong une «loi sur la sécurité nationale» qui permet de réprimer sur le territoire «la subversion, la sécession, le terrorisme et la collusion avec les forces étrangères». Cette initiative de Pékin a de facto mis fin à la période de transition fixée en 1997 et qui prévoyait la restitution de Hong Kong à la Chine en 2047.
La question de Taïwan est évidemment plus complexe. Près de vingt-quatre millions d’habitants vivent sur cette île qui se situe résolument en dehors de l’autorité de Pékin et qui bénéficie d’un soutien déclaré de la part de Washington. Le gouvernement taïwanais évite soigneusement de proclamer une marche vers l’indépendance, tandis que Pékin durcit le ton en proclamant que Taïwan devra un jour être rattaché à la Chine populaire. Xi Jinping a plusieurs fois déclaré que la «réunification» de Taïwan à la Chine continentale est «inéluctable».
De telles menaces semblent refléter le ton que le régime chinois de Pékin veut donner à ses relations internationales. Développer aussi rapidement que possible les capacités de l’Armée populaire de libération montre par ailleurs à la population chinoise que le pouvoir fait en sorte de ne pas être surpris par une éventuelle attaque américaine. Mais au-delà, il n’est pas sûr que les dirigeants de Pékin, y compris les hauts gradés de l’armée chinoise, aient l’intention de passer à l’offensive. S’agirait-il alors de conforter l’accès de la Chine à ses réseaux commerciaux vers le Pacifique? Ou bien de montrer que la Chine est animée d’un esprit de conquête? Rien, dans la tradition chinoise, ne pousse le pouvoir chinois à aller dans ce sens. Les théories de Sun Tzu l’amèneraient plutôt à montrer ses muscles, en évitant de bouger.
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