Au terme d’une enquête ouverte en 2015, le pôle «crimes contre l’humanité et crimes de guerre» du Pnat a demandé le 13 avril que Philippe Hategekimana, ancien adjudant-chef à la gendarmerie de Nyanza, dans la préfecture de Butare (sud), soit jugé pour «génocide, crimes contre l’humanité et participation à un groupement formé en vue de la préparation de ces crimes», a précisé le Pnat dans un communiqué.
Mercredi 14 avril, le Collectif des partis civiles pour le Rwanda (CPCR) basé en France, qui œuvre pour faire traduire en justice les suspects de génocide vivant en France, a reçu la mise en examen du procureur dans l’affaire Hategekimana. Ce dernier est l’un des cerveaux les plus recherchés du génocide de 1994 contre les Tutsi.
Hategekimana est accusé de génocide, de complicité de génocide, de crimes contre l’humanité et de complicité de crimes contre l’humanité. Selon le Pnat, « à Nyabubare, les massacres avaient entraîné la mort de près de 300 Tutsis tandis qu’à Nyamure, près de 10 000 victimes étaient dénombrées ».
Quarante parties civiles, dont le CPCR, la Licra et des rescapés ou proches de victimes, se sont constituées dans ce dossier.
Hategekimana est détenu en France depuis deux ans.
Philippe Hategekimana est naturalisé français en 2005, il en a profité pour changer son nom sous le nom de Philippe Manier. C’est une pratique courante des génocidaires qui essaient d’effacer les traces.
Le procureur français a demandé que le suspect génocidaire Philippe Hategekimana, alias Biguma, soit déféré à la cour française qui traite les affaires de génocide ou de crimes de guerre. Il doit être fixé d’ici un mois sur la décision finale des juges d’instruction chargés de l’enquête.
« Il faut maintenant attendre la décision du juge d’instruction d’ici quelques mois », a déclaré Gauthier, ajoutant que « mais il ne devrait pas y avoir de surprises. Je pense simplement que les juges d’instruction confirmeront le renvoi de Philippe Hategekimana devant la cour d’assises. Les faits sont accablants même s’il les nie. »
Selon l’accusation, Philippe Hategekimana se voit reprocher «son rôle dans l’érection de barrières destinées à contrôler et assassiner les civils tutsi», «dans le meurtre de plusieurs Tutsi sur deux de ces barrières», «dans l’assassinat du bourgmestre de Ntyazo, Narcisse Nyagasaza et d’un groupe de Tutsi» et «dans la direction et la mise en oeuvre des massacres des collines de Nyabubare et Nyamure».
Philippe Manier avait été interpellé fin mars 2018 à Yaoundé en vertu d’un mandat d’arrêt international de la justice française. Extradé vers la France près d’un an plus tard, il avait été mis en examen le 15 février 2019 et placé en détention provisoire pour la suite de l’enquête, menée par l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH).
Au moment de son arrestation, l’Autorité nationale des poursuites pénales (NPPA) a noté que le suspect figurait sur la liste des principaux auteurs les plus recherchés du génocide contre les Tutsi.
Le Rwanda a émis un mandat d’arrêt international à son encontre le 25 juillet 2017.
Hategekimana est originaire de Rukundo, dans l’ancienne préfecture de Gikongoro. Il était ancien commandant adjoint de la gendarmerie dans l’actuel district de Nyanza. Il aurait contribué à des massacres dans les anciennes communes de Nyabisindu, Ntyazo et Rusatira, qui sont dans l’ancienne préfecture de Butare.
Hategekimana est arrivé en France en février 1999, avec un passeport au nom de Philippe Hakizimana. Sa femme était arrivée avant lui. Ils avaient vécu dans le camp de Kashusha au Zaïre, aujourd’hui RDC, avant de s’installer au Congo-Brazzaville, puis en République centrafricaine, au Cameroun et enfin en France.
Sachant qu’il était la cible d’une plainte, il s’était enfui au Cameroun où sa fille réside toujours. La police camerounaise l’a arrêté lorsque sa femme a voulu le rejoindre. Il a été extradé du Cameroun vers la France, et il est en détention provisoire depuis le 15 février 2019.
Gauthier a déclaré qu’ils avaient jusqu’à 40 témoins – hommes et femmes – de Nyanza prêts à témoigner au début de l’affaire. Il n’a pas souhaité révéler leur identité sans leur autorisation.
Selon Gauthier, « c’est un dossier important et qui a avancé plus vite que d’autres» compte-tenu de la détention en cours du suspect », s’est félicité Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, dont la plainte déposée en juin 2015 avait déclenché l’enquête.
Trois condamnations sur huit
Si les magistrats suivent l’avis du parquet, le sous-officier sera le 8e accusé renvoyé aux assises en France pour des crimes commis au cours de ce génocide, qui a fait plus de 800 000 morts selon l’ONU, essentiellement des Tutsis exterminés entre avril et juillet 1994.
Mais à ce jour, seuls trois d’entre eux ont été condamnés définitivement et le dernier procès remonte à 2018. Un quatrième accusé doit être jugé en novembre. Mais vingt-sept ans après le génocide, Kigali et les parties civiles manifestent régulièrement leur impatience de voir enfin juger les suspects réfugiés en France, la justice française s’étant constamment opposée à leur extradition vers le Rwanda.
Le sort judiciaire de ces suspects est un des points de tension dans la relation compliquée entre Paris et Kigali, empoisonnée par la question du rôle de la France dans le génocide. Le ton est désormais à l’apaisement depuis le rapport Duclert, qui a conclu le mois dernier à des « responsabilités lourdes et accablantes » de Paris lors des massacres.
« Trente informations judiciaires relatives au génocide commis au Rwanda sont toujours en cours » en France, précise le Pnat.
Un procès lié à ce génocide est prévu en novembre, celui d’un ancien chauffeur d’hôtel Claude Muhayimana.
Trois autres accusés – l’ex-préfet Laurent Bucyibaruta et les médecins Sosthène Munyemana et Eugène Rwamucyo – ont formé des recours contre leur renvoi aux assises. L’ultime recours de M. Bucyibaruta a été rejeté ce mercredi par la Cour de cassation mais les dates du procès ne sont pas encore fixées
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