Les livraisons se sont donc poursuivies. Et les États membres ont continué de délivrer des autorisations d’exportations d’armes vers la Russie. D’après nos calculs, les dix États précités ont accordé plus d’un millier de licences d’exportation (autorisations de vente d’armes) pour à peine une centaine de refus. Au premier rang des exportateurs européens ? La France.
La France, première exportatrice d’armes de l’UE vers la Russie
Comme l’a révélé le média Disclose lundi, la France a vendu pour 152 millions d’euros d’équipement militaire à la Russie. Un chiffre confirmé par l’analyse d’Investigate Europe qui place la France loin devant ses voisins avec 44 % des armes européennes envoyées vers la Russie.
D’après notre enquête, les autorités françaises ont notamment donné leur accord dès 2015 pour l’exportation de matériel de type « bombes, roquettes, torpilles, missiles, charges pour explosifs… », des armes directement létales mais aussi pour du « matériel d’imagerie, des aéronefs avec leurs composants et des “véhicules plus légers que l’air”… ».
D’après l’enquête de Disclose, les exportations françaises concernent aussi « des caméras thermiques destinées à équiper plus de 1 000 chars russes, ainsi que des systèmes de navigation et des détecteurs infrarouges pour les avions de chasse et les hélicoptères de combat ». Le Kremlin a envoyé l’addition à Safran et Thales, les deux fleurons du complexe militaro-industriel à la française, dont le principal actionnaire est l’État.
La contradiction des dirigeant·es de l’UE avec la photo de famille « Tous contre Poutine » est cinglante : ces équipements pourraient, d’après le média d’investigation, se trouver à bord des blindés, des chasseurs et des hélicoptères qui sévissent sur le front ukrainien. Ceux-là mêmes qui terrorisent actuellement civil·es et combattant·es de Lviv à Marioupol.
Si l’on peut s’inquiéter que les exportations françaises aient explosé entre 2014 et 2015, on peut se réjouir que la France ait cessé de délivrer des autorisations de ventes d’armes chimiques.
Interrogé vendredi 4 mars par IE, le ministère des armées nous a répondu deux semaines plus tard « appliquer très strictement » l’embargo de 2014. Les missiles, roquettes, torpilles et bombes autorisées pour l’export ces cinq dernières années sont « en un mot, dit-il, un flux résiduel, issu de contrats passés […] et qui s’est peu à peu éteint ».
Allemagne : 122 millions d’euros notamment pour des fusils et des vaisseaux
L’Allemagne n’est pas en reste. D’après les informations recueillies par IE, l’Allemagne a exporté pour 121,8 millions d’euros vers la Russie, soit 35 % du total des exportations européennes, la plaçant en 2e position juste derrière la France. Le pays européen qui se montre aujourd’hui parmi les plus solidaires à l’égard de l’Ukraine en Europe – avec des manifestations gigantesques et une volonté d’accueil des réfugié·es par les citoyen·nes – a notamment autorisé l’envoi de vaisseaux brise-glace, de véhicules « avec protections spéciales » à la Russie. Les exportations allemandes tomberaient dans la catégorie « double usage » (militaire et civil) qui expliquerait pourquoi elles ne constituent pas une violation de l’embargo selon les politiques et experts contactés par IE.
Hannah Neumann, députée européenne du parti écologiste allemand, membre de la sous-commission de sécurité et défense du Parlement, ne décolère pas : « Chaque pays exporte selon sa propre volonté, nous avons besoin d’une politique commune sur les exportations d’armes, basées sur le droit et sur la transparence avec l’implication du Parlement européen… Je suis fatiguée de ces contrats secrets passés au bénéfice de l’industrie de l’armement et au détriment de la paix. »
Italie : des véhicules tout-terrain retrouvés sur le front ukrainien
En troisième position derrière la France et l’Allemagne, l’Italie a exporté pour 22,5 millions d’euros d’équipement militaire, selon la base de données COARM entre 2015 et 2020. Selon notre enquête, ce chiffre correspond à un seul et unique contrat passé avec l’industriel Iveco pour des véhicules terrestres. Investigate Europe a pu lire « l’autorisation finale » délivrée par le ministère des affaires étrangères (à l’époque, Paolo Gentiloni, actuel commissaire européen). Six ans plus tard, ces véhicules de guerre produits dans les trois usines Iveco en Russie mais dont toutes les pièces sont italiennes, se trouvent sur le front ukrainien. D’après la chaîne de télévision italienne LA7, ces véhicules du modèle Lince ont été vus en Ukraine début mars.
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