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Sommet extraordinaire des chefs d’État de la CEDEAO
Accra, le 7 novembre 2021
 
Par Christophe Boisbouvier

Après les putschistes maliens, les putschistes burkinabè vont-ils eux aussi être lourdement sanctionnés par la Cédéao ? Dès hier, l’organisation régionale a fermement condamné le coup d’État militaire qui a renversé le président Roch Kaboré.

Pour autant, les décisions de la Cédéao du 9 janvier contre la junte au pouvoir à Bamako sont loin de faire l’unanimité. À Dakar, Elimane Haby Kane préside l’ONG LEGS-Africa. LEGS est l’acronyme de Leadership, éthique, gouvernance et stratégies. Le chercheur sénégalais répond aux questions de C. Boisbouvier.
Boisbouvier : Les militaires burkinabè ont pris le pouvoir 15 jours après les très lourdes sanctions adoptées par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) contre les militaires maliens. Est-ce à dire que les décisions de la Cédéao ne sont plus dissuasives ?
Elimane Haby Kane : Absolument. Cela est évident. Il suffit de voir d’abord la clameur populaire qu’il y a eue contre les décisions de la Cédéao. Ils ont beaucoup parlé de la Cédéao des peuples. Mais non, c’est resté encore la Cédéao des chefs d’État. Justement, ce qui se passe au Burkina était même presque prévisible, parce qu’il y avait déjà des menaces à l’endroit de Roch Marc Christian Kaboré de la part des Burkinabè pour lui dire que, s’il entérinait les décisions de la Cédéao, il risquait lui-même de perdre le pouvoir. Et malheureusement, voilà ce qui est arrivé, qui ne fait que mettre toute la sous-région dans une situation dramatique. C’est pour cela que je parle d’impasse politique au niveau de la Cédéao. La Cédéao est totalement déconnectée de son peuple, en mal de légitimité, et donc n’est pas suivie. Il faut voir comment l’émissaire de la Cédéao au Mali a été traité, et même humilié, avec l’assentiment populaire. Pour dire qu’en fait, les populations maliennes demandent à être écoutées tout comme les autres populations de la sous-région, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les chefs d’État décident sans véritablement écouter et comprendre les préoccupations de leurs peuples.
Boisbouvier : Mais en même temps, une junte qui veut s’installer au pouvoir pendant cinq ans, est-ce que vous trouvez cela naturel ?
Elimane Haby Kane :  Pas du tout. Et je pense que justement, il faut trouver l’équilibre. Aussi bien, ce n’est pas raisonnable pour cette junte de vouloir installer une transition sur une période aussi longue qui dure comme le mandat d’un chef d’État régulièrement élu, autant il est également important d’écouter le peuple malien sur sa décision de mettre en place et de travailler sur une transition sérieuse qui va jusqu’à refonder les institutions maliennes. Donc, il faut trouver le juste milieu.
Boisbouvier : Depuis 2001, la Cédéao était fondée sur une charte qui garantissait la démocratie. Est-ce qu’il faut désormais jeter cette charte à la poubelle ?
Elimane Haby Kane : Absolument pas. Le protocole pour la démocratie et la bonne gouvernance, et son additif sont importants. Ce sont des instruments qui permettent de réguler la vie politique en Afrique de l’Ouest. Mais ce protocole mérite d’être revu parce qu’en fait, ce protocole insiste beaucoup sur la protection des régimes politiques, mais sans tenir compte de cette autre forme de démocratie qui amène les peuples à dire, entre deux élections, qu’ils ne sont pas d’accord.
Donc, il faut d’autres mécanismes qui permettent d’écouter et de donner plus d’espace aux peuples pour qu’ils puissent se prononcer par des droits pétitionnaires. Il faut prendre en compte des moyens, des mécanismes qui permettent aux peuples de pouvoir s’exprimer démocratiquement par rapport à un pouvoir qui serait à la dérive.
Également, il faut que ce protocole insiste davantage sur les coups d’État politiques, électoraux même, parce qu’on a vu comment les élections se sont passées un peu partout en Afrique de l’Ouest, en Guinée, en Côte d’Ivoire, etc. Elles étaient émaillées d’irrégularités, de forcing, de candidats qui sont éliminés, même jusqu’au Sénégal. Et ça, ce sont des formes de coups d’État institutionnels. Et donc, le protocole de la Cédéao doit évoluer sur ce plan-là. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut tout simplement légitimer les coups d’État militaires. Je ne pense pas que ce soit le rôle des militaires de prendre le pouvoir.
Donc, je pense que le modèle de démocratie libérale, qu’on nous a vendu, est un système qui ne marche pas. Et c’est là qu’il est intéressant pour les Africains de se mettre à reconstruire eux-mêmes le modèle de démocratie qui colle le plus avec leur système social. Il faut aller re-questionner par exemple la charte du Manden, de 1237, au XIIIe siècle déjà, qui était l’une des premières déclarations des droits de l’homme au monde, avec la Magna Carta, qui est souvent citée comme prolégomènes en Occident. Je pense que ce sont des modèles comme ceux-là qu’il faut mettre en avant, s’inspirer de cela et construire des modèles adaptés à notre quotidien, à notre vie sociale.
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