Sélectionner une page
  • Facebook
  • Twitter
  • Google+
  • Gmail
  • LinkedIn
Espérance Mutuyusa-Brossard.

Par la Nouvelle République

Espérance Mutuyisa-Brossard, présidente d’honneur de l’association Ibuka, ici lors de la sortie du livre qu’elle a écrit sur son histoire en 2021, espère une réponse de la mairie au sujet de l’érection d’une stèle commémorative du génocide des Tutsis au Rwanda.

Partie civile d’un procès en cours pour « contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité », l’association Ibuka, née à Niort en 2002, lutte pour qu’on ne banalise pas le génocide qui s’est déroulé au Rwanda en 1994.
« Des salauds face à d’autres salauds. » Cette phrase, employée par Natacha Polony en 2018 pour décrire le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, continue de remuer les associations de mémoire de cette horrible page de l’histoire récente qui avait vu plus de 800.000 Tutsis se faire massacrer en trois mois à peine, au Rwanda, par les Hutus. « On est toujours dans un combat contre le négationnisme et la banalisation de ce génocide », alerte Espérance Mutuyisa-Brossard, présidente d’honneur d’Ibuka, structure créée à Niort en 2002 et dont le nom, en kinyarwanda, une langue rwandaise, veut dire « souviens-toi ».
À l’époque, le 18 mars 2018 sur la radio France Inter, la célèbre chroniqueuse devenue depuis directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Marianne, avait prononcé ces mots avant d’insister : « On ne définit pas les gens par bourreaux et victimes, c’est plus compliqué que ça. »
Un ensemble de propos qui lui ont valu de comparaître début mars devant le tribunal correctionnel de Paris pour « contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité ». Après une plainte déposée par Ibuka donc, rejoint par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et la Communauté rwandaise de France. Depuis 2017, la loi sur la liberté de la presse punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière » un génocide reconnu par la France.
Confusion entre victimes et bourreaux
« Si tu dis salauds contre salauds, ça contribue à embrouiller le sujet, c’est une façon de créer de la confusion », relève Espérance Mutuyisa-Brossard, qui a témoigné au procès. Résidant au Mali en 1994 « parce qu’après mes 13 ans, étant Tutsi, je n’avais plus le droit d’étudier au Rwanda », cette femme au regard décidé derrière ces grandes lunettes a perdu ses parents dans les massacres.
Arrivée en France en 1995, à Aiffres où elle réside toujours, elle s’est battue une grande partie de sa vie pour la reconnaissance pleine et entière de ce génocide. « Au début c’était difficile, on avait du mal à s’organiser et c’était même compliqué de louer des salles pour se rassembler. J’ai vu toute l’évolution du discours sur ces faits. Aujourd’hui on ne peut plus dire qu’il n’y a pas eu de génocide mais ce n’était pas gagné. »
Pour cause, la France de Mitterand a joué un rôle certain dans cette histoire, en armant et soutenant les génocidaires Hutus, et la lumière sur ces questions perce lentement ces dernières années, avec l’ouverture progressive des archives et les apports successifs d’historiens. L’un d’entre eux est d’ailleurs venu témoigner au procès.
Pour Stéphane Audouin-Rouzeau, l’utilisation du terme « salaud » relève d’une « simplification inutile, voire dangereuse ». Il considère que Natacha Polony « laisse penser qu’il n’y a pas de distinction entre bourreaux et victimes ». Le Front patriotique rwandais (FPR), du président actuel Paul Kagamé, tutsi, qui a mis fin au génocide en juillet 1994, s’est rendu coupable de violences, certes, mais « politiques, pas ethniques ».
Un procès déconcertant pour Ibuka
Ces violences sont reprises par certains pour minimiser le génocide ou parler de double-génocide. Elles ont aussi occupé une bonne part de l’audience des 1er et 2 mars. « On a porté plainte pour quelque chose de précis et on se retrouve à vivre le procès de Paul Kagamé », se désole la présidente d’honneur d’Ibuka, pointant le fait que le rôle du FPR n’est pas du tout l’objet du procès.
« Est-ce que mettre en cause le FPR c’est minorer le génocide ?, s’interroge quant à elle Me Florence Bourg, l’avocate de la journaliste de Marianne, résumant la question centrale. Ma cliente n’a pas nié le génocide ni évoqué le double génocide, elle a redit a plusieurs reprises l’horreur de celui-ci. »
En attendant la décision dans cette affaire, prévue pour le 20 mai et qui sera scrutée du côté de Niort, Ibuka se prépare à commémorer le 28e anniversaire du début du génocide, le 7 avril. Avant de se tourner vers les 20 ans de l’association, qui auront lieu le 29 octobre.
Un rendez-vous qui a poussé Espérance Mutuyisa-Brossard à envoyer un courrier à Jérôme Baloge, le maire, pour lui rappeler les festivités de 2012 (des officiels rwandais et des survivants avaient été accueillis et une conférence s’était tenue au Moulin du Roc) et lui demander d’appuyer sa demande d’érection d’une stèle commémorative, comme cela s’est déjà fait dans une  dizaine de villes françaises.
Mais le courrier en date du 15 jullet 2021, comme sa relance du 31 janvier 2022 n’a pas reçu de réponse à ce jour de la part de la mairie, laissant l’association dans la perplexité. « Ce monument racontera à la jeunesse l’histoire du génocide des Tutsi mais aussi l’attachement de Niort à l’humanisme et à l’universel », car « la ville et ses habitants ont participé à l’impulsion de ce travail de mémoire au niveau national, ils peuvent en être fiers ».  Elle espère toujours une réponse avant le mois d’octobre. Contactée à ce sujet, la mairie ne nous a pas répondu.
Share This

Partager

Partagez cet article avec vos amis !